NOTES DE LECTURE
Hélène Viennet
A l’écoute des proches aidants
Du répit à la rêverie
Paris, Editions Seli Arslan, 2020, 180 p.
par Hélène C. Priest
Préfacé par le professeur Éric Fiat et comportant une postface de Henri de Rohan-Chabot, le livre d’Hélène Viennet fait part de son expérience auprès des « proches-autres » dits « aidants ». Avec finesse, poésie et beaucoup de délicatesse, Hélène Viennet nous aide à prendre la mesure de ce nouveau statut d’un autre secourable tout en interrogeant comment l’accompagner et le soutenir. Son approche d’une très grande sensibilité et pleine de sympathie pour les malades, leurs proches et ceux qui les accompagnent, livre une description précise et intéressante d’observations qui permet non seulement de comprendre les émotions de chacun, ses éprouvés aussi terrifiants qu’ils soient, mais aussi comment il est possible de les « écouter ».
Les mots sont là pour dire nettement, sans détour comment « la maladie s’impose, obscurcit l’horizon, bouleverse tout un chacun ». Pourtant, chaque expression favorise chez le lecteur l’appréhension de réalités insoutenables. Ainsi l’annonce de la maladie est « un bouleversement de toutes les relations, elle impose une révolution ». Est rappelée que « la collision est un choc si brutal qu’elle peut empêcher la rencontre » des soignants et des malades et de ses proches. Se reconnaitre « aidant » ne va pas de soi. Hélène Viennet relève minutieusement toute l’ambiguïté de ce terme pour le proche qui se sentirait plutôt victime, voire coupable, que procurant de l’aide à son proche malade. « Le risque est que le proche soit réduit à sa fonction : aider. Mais il importe de ne pas oublier que s’il y a l’« aidant » c’est qu’il y eut et qu’il y a l’« aimant » (p. 45)
Entrer dans l’intérieur de la maison, c’est appréhender les turbulences des univers sensoriels et émotionnels que la maladie, le handicap, la démence ont fait basculer.
Dans le cadre du réseau Quiétude, Hélène Viennet entre dans ces maisons et psychologue clinicienne et psychanalyste ne lâche rien de sa position. Il s’agit, écrit-elle (chapitre 4), de « parvenir à reconnaître, accueillir, supporter, contenir, soutenir les plaintes, les liens transférentiels qui ont pu s’opérer sur fond de violence et de rejet, d’amour et de haine, l’agressivité, l’insupportable de ce qui se vit là, toutes les peurs des « aidants » assaillis de mauvaises pensées … le plus cruel pour cette « dyade aidant- aidé » est de faire face à l’inquiétante étrangeté, … l’impossible symbolisation de ce réel qui affole » (p.77).
« Accueillir ces terreurs, ces états de détresse afin qu’ils puissent se convertir en peurs partageables est possible si un temps d’écoute que nous appellerons répit psychique est offert. » (p.85) Il s’agit d’une appellation nouvelle qui convoque la dimension d’un appel pour marquer un arrêt puis tenir à distance un temps ce qui essouffle. Hélène Viennet lève toutes les incompréhensions liées à une telle notion pour les personnes accompagnées souvent si dépendantes dont il s’agit avant tout d’écouter les souffrances, pour les proches qui ont besoin de partager afin de découvrir ce qui pourrait les soulager, pour les soignants qui risquent l’épuisement. Chacun a besoin de répit et d’un « autre » qui l’entende ! Ainsi est convoquée Lady Chatterley si terriblement lasse mais qui ne le sait pas et dont la sœur va l’aider à réagir et retrouver en elle de nouvelles ressources, l’importance de la rêverie, de reprendre goût à la vie… A partir de son expérience au domicile, Hélène Viennet élabore cette notion de répit psychique. Avec cette offre d’un espace psychique renouvelé, un exil hors de la maladie est offert. Le patient, effectuant « comme lors d’une promenade psychique entre présent et passé…, trouve en cet espace psychique « revigoré » une nouvelle impulsion, un bol d’air plus frais, une re -connaissance » (p.103). C’est le psy entrant dans la maisonnée qui va recevoir, créer un dispositif pour que ce soit lui qui accueille. « Inverser ainsi l’évidence permet à l’intime d’avenir. Tout à coup la maison peut s’ouvrir comme un lieu possible de répit » (p.119).
De même, l’espace de la rêverie ne peut se déployer que dans la rencontre d’un autre secourable. Cependant le réel est là puissant, il s’impose et ce qui qui advient tout d’abord dans les récits se sont les cauchemars. Faire entendre à un autre secourable ses rêves cauchemardesques peut constituer les prémices d’une transformation, tandis que le cauchemar diurne peut être plus difficile à vivre et pas toujours facile à écouter. C’est aussi en se laissant guider par sa propre rêverie qu’Hélène Viennet a pu aider les proches à trouver un autre mode de communication avec leur patient.
Cette « écoute d’un cœur intelligent » comme Éric Fiat l’a nommée, est à l’œuvre dans tous les moments de ce petit livre, grand par ce qu’il nous permet de découvrir et appréhender de l’intimité de chacun au cœur des maisons. Il ne s’oublie pas.